Couple n°1 : 2 personnages

Le sol se mouvait sous ses pattes, changeant de forme, sans jamais vraiment se définir, tellement familier mais si inconnu à la fois. L'humus tendre se déchirait au passage de ses griffes acérées, la terre humide volait en mottes, laissant une traînée sombre dans son sillage. L'opalescence de l’œil brillant de la nuit éclairait d'une lueur fantomatique les vieux arbres tordus du chemin, leur conférant un aspect magique et dangereux. Un hibou ulula dans la sombre nuit, déchirant le silence de plomb comme un coup de couteau. La brume nappait les montagnes de l'horizon d'irréalité, les changeant en un mirage salace dans lequel on se serait facilement perdu. L'ambiance morbide n'arrêtait pas le félin dont la course endiablée semblait infinie. Illusion des Déserts se fondait dans le paysage, en faisait partie, on aurait pu la prendre pour un autre tour vicieux joué par notre esprit mais elle n'avait d'illusion que le nom. Ses pensées, plus sombres encore que la nuit d'encre par laquelle elle courait, la détachaient du monde physique. La guerrière ne se fiait plus qu'inconsciemment à ses sensations, au ressenti du sol foulé par ses pattes puissantes. Elle finit par laisser ses pensées meurtrières se dissiper dans la brume et s'abandonna à la course. Ressentir le choc de son corps puissant s'abattre à chaque pas sur le sol avant de s'élever vers les étoiles entre chaque foulée, mais vite rattrapé par l'irrémédiable gravité, forcée à atterrir bien vite. Ressentir le vent tourbillonnant dans sa longue fourrure, la faisant voleter en de nuages vaporeux et l'enivrant du parfum des fleurs déchues. Ressentir les gouttes d'eau de la bruine qui commençait à tomber finement, humidifiant l'air nocturne et enclines à faire couler les larmes. Les yeux émeraudes étincelants de la chatte de l'Ombre s'emplirent de larmes brillantes mais elle les refusa et ne s'arrêta pas, de peur d'être prise dans cette utopie enchanteresse et de ne plus jamais en repartir. Ou était-ce plutôt de peur que la beauté de ce moment presque uchronique ne rappelle des souvenirs qu'elle croyait perdus dans le néant ? Quoiqu'il en soit elle ne put empêcher une larme de cristal de couler le long de sa fourrure soyeuse, silencieusement dans la nuit d'encre, presque invisible s'il n'y avait eu dedans le scintillement d'un aperçu de l'infini. Soudain un reflet trancha la nuit, l'éclairant de mille feux et aveuglant la femelle, l'arrêtant. Elle leva la tête. Les vieilles Serres. Ces grands bâtiments de verre à moitié brisés et remplis de plantes et de fleurs plus belles les unes que les autres. Une lubie oubliée des bipèdes, à moitié brisée depuis bien longtemps. Elle observa le pâle spectre de la lune qui se reflétait dans le mur comme dans un lac gelé, comme dans un miroir. Illusion avança lentement jusqu'à entendre les fragments de verre crisser sous ses pattes comme les fragments de son chagrin crissaient sous ses souvenirs. Une douleur fulgurante la tança lorsqu'un bout de verre entailla son coussinet mais elle s'évanouit aussi vite qu'elle était apparue, ne laissant qu'une fine traînée de sang sur les feuilles séchées qui bruissaient sur le chemin. Illusion des Déserts avança sans se soucier de ces préoccupations bassement matérielles, ne pensant qu'à l'élévation de son esprit vers les pointes tournoyantes de l'horloge qui fonctionnait toujours au sommet d'une des coupoles de verre. Elle marcha sans un bruit vers l'intérieur du bâtiment. Elle s'assit alors, contemplant l'anarchie régnant dans cet espace qui semblait infini. Des coquelicots à la parfaite teinte carmin poussaient ici et là, jouxtant des pieds de roses blanches comme la neige et empiétant sur un parterre de doux bleuets à la tendre couleur rêveuse. Elle se coucha dans ce qui semblait un jardin d'Eden déchu que la lune habillait d'un pâle reflet de la gloire d'antan. Elle était enfin en paix dans ce paradis illusoire. Ou presque...